UN Archives Geneva Blog

Les origines du Musée de l’ONU Genève

by Pierre-Etienne Bourneuf on 2022-02-23T15:14:50+01:00 | 0 Comments

 

Les origines du Musée de l’ONU Genève

Pierre-Etienne Bourneuf

Entrée du Musée des Nations Unies à Genève, Bâtiment B du Palais des Nations

Le Musée des Nations Unies à Genève est aujourd’hui situé au premier étage du bâtiment de la Bibliothèque et Archives du Palais des Nations. Il accueille actuellement l’exposition « 100 ans de multilatéralisme à Genève », qui retrace l’histoire de la coopération internationale dans la « ville du bout du lac » depuis la création de la Société des Nations (SdN) jusqu’aux Nations Unies aujourd’hui.

Si ce musée est pour certains aspects unique en son genre, l’histoire de sa création reste largement méconnue. Son origine remonte en effet à l’époque de la SdN. Le premier document d’archive y faisant référence est un mémorandum adressé au Secrétaire général de la SdN Eric Drummond en 1923 concernant une « question très importante ». En constatant le nombre croissant de personnes visitant le siège du Secrétariat (à l’époque l’hôtel National, aujourd’hui connu sous le nom de Palais Wilson), l’auteur du mémorandum, le Secrétaire général adjoint Bernardo Attolico, suggère d’exposer des portraits des grandes personnalités ayant contribué à la création de la SdN, des documents manuscrits autographiés et les « armoiries » des Etats Membres afin de marquer les esprits des visiteurs. Au moment où la Société doit encore s’imposer sur la scène internationale, il s’agit de profiter des visites du Secrétariat pour augmenter la visibilité de l’organisation auprès de l’opinion publique et renforcer sa légitimité.

Bien qu’accueilli favorablement au sein du Secrétariat, le projet va rester en suspens jusqu’en 1926, quand il refait surface dans une version légèrement modifiée. En effet, s’il consiste toujours à exposer des portraits, des documents manuscrits et des objets en relation avec la SdN, le musée ne doit plus être aménagé dans l’hôtel National, mais dans un des bâtiments annexes situé à proximité. Cette « délocalisation » s’explique en tenant compte du développement des activités de la Société. Après des débuts tâtonnants, l’organisation genevoise est désormais reconnue sur la scène internationale. L’augmentation des activités du Secrétariat ne permet plus d’accueillir un musée à l’intérieur du siège de la SdN. La présence des visiteurs dans les couloirs du bâtiment provoque désormais des désagréments pour les fonctionnaires et risque même parfois de causer des incidents diplomatiques.

Dossier R1467/30/25179/25179 concernant l’accès des visiteurs au Secrétariat.

La réalisation du projet va néanmoins se heurter à plusieurs obstacles. Sur le plan financier, aucun budget n’est prévu pour l’aménagement du musée. De plus, la SdN ne dispose pas d’une collection d’œuvres d’art et de documents historiques suffisamment importante pour mettre en place une exposition. Face à ces difficultés, on décide finalement de repousser la mise en œuvre du projet. Afin de contourner les questions financières, une circulaire interne demande aux hauts fonctionnaires de solliciter des donations auprès des Etats membres.

S’il est différé, le projet de musée n’est pas abandonné, bien au contraire. En 1929, Drummond charge le directeur de la Bibliothèque Tietse P. Sevensma de suivre la question de la constitution de la collection. Le projet architectural du Palais des Nations approuvé l’année précédente inclut l’aménagement d’un musée dans une grande salle située au premier étage du bâtiment de la Bibliothèque. Cet emplacement avait été choisi avec soin. En effet, il permettait de recevoir les visiteurs sans déranger les personnes dans les salles de lecture. La salle du musée était d’ailleurs censée remplir une double fonction. D’un côté, elle devait accueillir une exposition composée d’une collection historique présentant des portraits, des photographies, des bustes et des documents sur l’histoire de la Société ainsi que du matériel informatif sur le travail de l’organisation préparé par la Section de l’information. De l’autre, elle aurait pu être convertie en salle de conférence – avec une capacité estimée à 200 personnes et dotée d’un système de rétroprojection – pour accueillir des réunions des associations militant en faveur de la SdN. En attendant la construction du Palais des Nations, les œuvres recueillies par la Société vont être exposées dans les couloirs de l’hôtel National.

De fait, c’est qu’en 1936 que le Secrétariat emménage dans le nouveau siège de la SdN. A cette époque, les travaux du Palais des Nations ne sont pas encore terminés et, par soucis d’économie, la réalisation de certains aménagements intérieurs, dont la salle du musée, sont reportés. Dans un contexte marqué par les difficultés financières engendrées par la crise économique mondiale du début des années 1930 et les crises politiques provoquées par la polarisation du système international, les dépassements du budget de construction du nouveau siège de la SdN avaient suscité des tensions au cours des années précédentes. Le Secrétariat avait été forcé à adopter des solutions de compromis pour emménager dans le Palais des Nations tout en appliquant des économies draconiennes.  

Projet d’aménagement de la salle du musée, s.d., R5265/16/33080/33081

En 1937, Sevensma transmet une note au Secrétaire général Joseph Avenol en lui demandant son autorisation pour aménager le musée. Afin de limiter les coûts, le projet est pour le moins spartiate. Aucun système de chauffage n’est prévu car on estime que la partie plus importante du public visiterait le siège de la SdN en été ou à l’occasion de l’Assemblée en septembre. Même si on est très loin de l’aménagement original estimé à près de 80 000 francs, la détérioration de la situation politique ne permet pas de mener à bien le projet. En 1939, la salle du musée est utilisée comme dépôt pour entreposer les peintures des musées madrilènes évacuées d’Espagne pour les préserver de la guerre. Quelques mois plus tard, le déclenchement du second conflit mondial met fin à tout espoir de réaliser l’aménagement du musée.

Parmi les trésors artistiques provenant des collections du Prado entreposés dans la salle du musée figurent
la Madonna della Rosa de Raphaël et la Vénus du Titien, février 1939, Archives des Nations Unies à Genève.

Pourtant, la Société est parvenue à assembler au fil des années une collection assez remarquable. La liste d’inventaire dressée en 1944 contient des portraits, des bustes, des dizaines de photographies de fonctionnaires et de grandes personnalités politiques. Cette collection a été constituée grâce à des donations d’Etats membres, de fonctionnaires ou d’amis de la Société. Certains éléments sont pour le moins surprenants. On y retrouve par exemple des stupéfiants saisis dans le cadre des efforts réalisés pour réprimer le trafic international, des pièces de monnaie d’Etats membres (qui arrivèrent à Genève trop tard pour être placées dans la première pierre du Palais des Nations), des médailles commémoratives, des enregistrements de discours sur disque et même la série de dessins « The Geneva Drawings », offerte par l’artiste américaine Violet Oakley.

Sean Lester, ancien Secrétaire général de la SdN (au centre) avec Wlodzimierz Moderow, Directeur de l’Office européen des Nations Unies (à gauche) et Daniel Secrétan, Ministre plénipotentiaire du Département fédéral des Affaires étrangères de la Confédération suisse (à droite) le jour de l’inauguration du musée, 17 juillet 1947, Archives des Nations Unies à Genève.

C’est finalement le Comité de liquidation de la SdN qui va permettre de réaliser le musée. Grâce au soutien de son président Carl Hambro, le comité dégage des fonds pour aménager la salle du musée et sollicite les Etats membres pour compléter la collection avec des donations. Ainsi, des dizaines de photographies et d’autres dons sont transmis à Genève. L’objectif de l’exposition est de commémorer l’histoire de la SdN et le travail qu’elle a accompli au travers des grandes figures qui ont contribué à ses activités. Parmi les portraits offerts figurent par exemple celui de Fridtjof Nansen, réalisé par Alex Revold et offert par la Norvège. Finalement, le musée est transféré aux Nations Unies en juillet 1947, lors d’une cérémonie en présence du dernier Secrétaire général de la SdN Sean Lester et du Directeur de l’Office européen des Nations Unies Wlodzimierz Moderow. Dans son allocution, ce dernier déclare : « ce musée est consacré aux actes liés à l'histoire de la S.d.N. et aux hommes qui y ont joué un rôle important. Par leurs travaux et leurs efforts, ils ont laissé des traces profondes dans le développement de la paix et de la réconciliation. Ces hommes seront toujours considérés par les générations futures comme des artisans de la collaboration internationale (1) ». Plus de 70 ans plus tard, le Musée des Nations Unies à Genève continue à présenter et à mettre en valeur l’importance de la coopération multilatérale.

Mme Tatiana Valovaya, Directice générale de l’Office des Nations Unies à Genève lors de l’inauguration de l’exposition
« 100 ans de multilatéralisme à Genève » le 8 octobre 2019, UN Photo/Philippe Morard

Pour plus d’informations sur le musée (horaires d’ouverture et visites guidées) sont disponibles ici

Notes :

  1. Voir : « Le musée de la S.D.N. remis aux Nations unies », La Suisse, 18 juillet 1947 (R5265/16/33080/33080).

Sources :

R5265/16/33080/33080

R5265/16/33080/33082

R5263/16/42795/576

S1697/1

S1694/13

 


 Add a Comment

0 Comments.

  Recent Posts



The Norsemen are going to Geneva
The train ride to Geneva was by many seen as the gateway to the new world. To help Nordic people understand the new multilateral world, the Nordic Folk High School in Geneva was created. It provides an understanding of the effects of multilateralism.
Stefan Lux and the Archives of the League of Nations
On 3 July 1936, Stefan Lux committed suicide in the middle of a meeting of the Assembly of the League of Nations. What does the archives tell us about this dramatic call to act to stop the inhumane treatment of Jews under the Nazi regime?
The Travelling Commission of Enquiry into Traffic in Women and Children in the East
The archives of the League of Nations and social history
The Story Behind the Flag
Find out why the League of Nations did not have an official flag
Donner accès aux archives de la Société des Nations : la description archivistique
Il est aisé de croire qu’un projet de numérisation se limite à scanner des documents. Or pour rendre ces documents accessibles, produire des images ne suffit pas, loin de là !
Les origines du Musée de l’ONU Genève
Une immersion dans les archives de la Société des Nations, aux origines d’un musée pas comme les autres.
From Photostat to Overhead Scanning Machines
From Photostat to Overhead Scanning Machines: Serving Academia, the International Community and Civil Society
The Case for Physical Archives
Physical or digitized archives?

  Subscribe



Enter your e-mail address to receive notifications of new posts by e-mail.


  Archive



  Return to Blog
This post is closed for further discussion.