Skip to Main Content
Research Guides United Nations Office at Geneva Library & Archives

Audio Guide: The Next Page - Transcripts

Welcome to the UN Library and Archives Geneva's Audio Research Guide! Here you'll find episodes from our own podcast, The Next Page, as well as podcasts and audio from or on the UN system and multilateralism.

56: Repenser les études internationales et du développement avec Marie-Laure Salles

by Katrine Knudsen on 2021-07-21T09:37:00+02:00 | 0 Comments

 

-- Jingle -- 

Francesco Pisano :  Bienvenue sur le podcast, la bibliothèque et archives des Nations Unies à Genève, conçu pour développer et nourrir la conversation sur le multilatéralisme. Dans cet épisode aujourd'hui, Blandine Blukacz-Louisfert qui est la responsable de la mémoire institutionnelles, ici à la bibliothèque et archives a invité Marie Laures-Salles, nouvelle directrice de l’Institut de hautes études internationales et du développement. 

Depuis peu, Marie Laures-Salles dirige cet institut et là derrière elle a une brillante carrière universitaire mais aussi dans le domaine du leadership. Avec Blandine, elle discute, et nous dévoile son point de vue sur les questions qui fâchent de notre système global. Hypnotisé par le mythe d'une croissance économique éternelle, le système mondial fait face à des défis qui n'est plus capable d'affronter et s'enferment dans le déni de ces échecs. 

Une épisode promenade donc dans la culture économique de notre monde, entre court-termisme, bonheur intérieur brut, pensée linéaire et économique circulaire, entre ce qui ne marche plus de notre passé et ce qui n'a pas encore été inventé pour assurer notre futur. A peine a la pandémie de 2020, montre des signes de faiblesse que le monde économique s'élance dans la reconquête de ce qui a été avant et que pour beaucoup de monde ne saurait plus être dans le futur l'idée que donner libre cours à l'égoïsme individuel génère à terme, un bénéfice collectif. 

Marie Laure-Salles nous accompagne dans les questionnements de ce mythe, nous aide à comprendre l'idée de prospérité multidimensionnelle et à la portée stratégique de L’Agenda 2030. En toile de fond, on entrevoit dans cet épisode les illusions que nous sommes fabriqués pour justifier notre dévotion aveugle à la croissance, et Marie Laure-Salles de nous rappeler qu'il y a une différence importante entre connaître des données, essayer de tout prédire et la vraie compréhension du tout. 

Profitez bien cet épisode assez extraordinaire. 

Bonne écoute.  

-- Jingle --  

Blandine Blukacz-Louisfert : Marie Laure-Salles bonjour. 

Marie Laure-Salles : Bonjour Blandine. 

Blandine Blukacz-Louisfert : J'ai le plaisir de vous accueillir pour un nouvel épisode de notre série de Podcast The Next Page. Vous êtes sociologue de l'économie et une universitaire renommée et vous avez dirigé jusqu'à récemment l'école du management et de l'innovation de Sciences Po Paris. Vous êtes, depuis septembre 2020, directrice de l'Institut des hautes études et du développement, l'IHEID à Genève.  

Vous vous intéressez dans vos recherches aux interactions complexes entre le monde de l'économie et des affaires et la société. Alors, précisément, la mondialisation, les crises économiques et climatiques ou encore les avancées technologiques rendent notre monde plus complexe et aussi plus incertain et je crois qu'on le voit très bien en cette temp de pandémie. Face à cette complexité, dans quelle mesure pensez-vous qu'il faille changer de voie ou changer de la culture de notre monde pour employer l'une de vos expressions ? 

 

Marie Laure-Salles : Merci beaucoup Blandine de cette question qui qui va directement, je pense au cœur du problème parce qu'il s'agit en effet d'une transformation culturelle qui est devant nous, qui est nécessaire, qui émerge comme étant chaque jour de plus en plus nécessaire et on sait que les transformations culturelles sont toujours des transformations complexes. Elles ne sont pas impossibles, elles sont complexes, elles sont longues, elles exigent finalement beaucoup de patience, beaucoup de temps, beaucoup aussi de coopération et d'interdépendance, entre des dimensions différentes de ces transformations. Et c'est clairement ce à quoi nous devons faire face. Alors, qu'est-ce que ça veut dire ? Changer la culture de notre monde ? Comment on peut essayer de définir ça ? De définir déjà la culture de ce monde et ce qu'il faut changer. Alors je vous proposerai peut-être un si grand mythe en fait qui sont des mythes structurants de nos sociétés, de notre culture depuis, on va dire à peu près une soixantaine d'années environ, et qui sont, à mon avis, si mythe qu'il faut questionner, qu'il faut sans doute en partie au moins en remettre en cause. 

Tout d'abord le premier et celui qui est parfois très explicite et parfois plus implicite, et c'est ça qui est assez compliqué, c'est le mythe que la prospérité et unidimensionnelle et qu'elle se mesure essentiellement par la croissance économique. Et on le revoit, on le voit, j'étais encore ce matin j'écoutais les dernières nouvelles et en Italie par exemple, avec une croissance qui repart et on se réjouit, et cetera. Et bien sûr, on se réjouit. Mais on parle toujours encore aujourd'hui, même après ces 16 mois de de crise pandémique, de croissance économique comme mesure, finalement de la prospérité. Or la prospérité, on le voit bien, je pense qu'on l'a vécu dans notre chair ces 16 dernier moins, c'est un complexe, un complexe multidimensionnel qui inclut évidemment la prospérité économique. La peut-être je n'utilise pas le terme croissance précisément parce que c'est une c'est un mot à questionner. Il faut vraiment se poser cette question-là. Mais bien sûr aussi la santé, on l'a vu, l'éducation bien sûr aussi, l'égalité, mais aussi le lien social. On a vu comment, quand on avait une période aussi longue, sans liens sociaux ou en tout cas avec des liens sociaux très minimes, on souffrait à tous les niveaux. Le bien être psychologique, le bonheur, entre guillemets, évidemment définition plus complexe de de ce terme-là. Mais on voit bien que la prospérité vraiment, doit être repensée comme un complexe multidimensionnel. Et quand on y réfléchit, les objectifs de développement durable, c'est sans doute une des premières étapes dans cette direction-là en termes de définition, d'outils de mesure de cette multi dimensionnalité. Malheureusement, il y a peu de pays, il y a peu d'endroits, peu d'entreprises, et cetera, qui ont suivi dans cette démarche-là, de se dire comment on intègre cette multi dimensionnalité dans les outils de mesure qu'on met en place pour finalement en suivre notre activité pour être un peu les indicateurs de notre action. Et je crois que là y a des choses qui ont été faites, il y a des indicateurs produit, de bonheur intérieur brut, et cetera qui ont été développés donc ces réflexions ont lieu, mais nous sommes encore très loin de d'une mise en place systématique. Quelques pays à ça avance, la Nouvelle-Zélande et cetera, sont des pays qui sont allés dans cette direction, mais on est encore assez loin d'une systématisation de cette redéfinition finalement, de ce qu'est la prospérité. 

Donc ça, c'est un premier point, un premier mythe de notre culture à transformer. Une deuxième définition, ou deuxième élément or une deuxième dimension de la culture du monde d'aujourd'hui qui faut à mon avis remettre en cause et c'est urgent. C'est une orientation très court-termisme que l'on retrouve un peu partout, que l'on retrouve évidemment en manière absolument clair et intense dans le secteur de la finance. C'est un peu de là proviennent finalement tout le court-termisme de de nos économies, de nos entreprises, et cetera. C'est ce court-termisme financier, mais qui se retrouve finalement un petit peu aussi en politique. On le voit bien avec cette notion que souvent les prises de décision des hommes et femmes politiques sont quand même liées plutôt aux prochaines élections, qui a des visions très long terme, donc ça, c'est très clair. On se retrouve aussi dans notre mode de consommation dans lequel on jette plutôt qu'on recycle, hein ?  Donc c'est on utilise et puis on jette et puis donc usage unique, hein ? La notion de l'usager unique et cetera. Donc on retrouve cette dimension à peu près partout dans nos sociétés, dans notre culture, vraiment, c'est devenu un élément culturel. Et passer d'une vision court-termiste à une vision moyenne-termiste ou long terme, on voit bien en quoi et comment ça changerait en profondeur notre relation au monde, notre relation aux autres, notre relation à nous-mêmes. Donc ça pour moi, c'est un deuxième élément à transformer. Associé à cet élément-là, on peut aussi penser à une évolution d'une projection de l'humanité dans une perspective très linéaire. La notion de progrès tel qu'elle a été utilisé défini on va dire après ou à partir des lumières. Pour faire simple et pour résumer de manière très simpliste, l'histoire des idées est une notion d'un progrès linéaire dans le futur est toujours meilleur, le futur sera toujours meilleur, et cetera. Et on voit bien aujourd'hui les limites de cette projection-là. On voit bien que notre planète n'est pas dans sa projection elle-même linéaire, elle est pour sa survie circulaire. Donc je crois qu'une des prochaines évolutions aussi, des évolutions nécessaires, c'est passer de ce mythe de la linéarité vers une compréhension que nous sommes et devons être dans la circularité, la vie humaine est circulaire. Nous naissons, nous mourons, d'autres générations émerge donc à une circularité à travers les générations. La terre est éminemment circulaire dans toutes ses dimensions, les ressources doivent avoir le temps de pouvoir se reproduire, et cetera et cetera. Donc doit de plus en plus, je pense, intégrer cette notion de circularité à tous les niveaux de nos actions, et on le voit bien hein ? L'économie circulaire, on utilise ce terme là pour parler d'une économie qui serait plus respectueuse d'une réutilisation intelligente des déchets que l'on produit par exemple, et cetera, donc la circularité comme élément. Un autre élément important qui a été très structurant de ces dernières décennies et qu'il faut sans doute peut-être aussi questionner, c'est notre capacité la projection que l'humanité peut prévoir et qu'elle peut prévoir qu'elle peut calculer absolument tout. Et là je crois que les 16 derniers mois nous montrent que non, que le monde dans lequel nous étions et déjà hein, je pense que c'était sans doute une illusion cette notion d'une capacité de prévoir absolue, et d'un pouvoir de calculabilité de de tout. Mais le monde tel qu'il est post pandémie ou tel qu'il sera post pandémie va rester en tout cas pour de très, très longues années un monde ou l'incertitude est structurante, l'incertitude est assez radicale. N'importe quoi peut arriver, on l'a vu, avec un bouleversement complet de nos modes d'existence. Donc je pense que l'intégration de l'incertitude comme un élément, pas simplement les éléments qu'il faut absolument chasser et éliminer de notre vie, mais comme un élément à partir duquel il faut finalement faire évoluer nos modes de décision et mais aussi nos modes de relation, là aussi au monde, à nous-mêmes, à aux autres, et cetera. Certitude absolue, c'est celle de notre mort, au bout du compte c'est là aussi une définition, un élément défini qui définit notre humanité. 

Un autre élément important selon moi, c'est de passer de d'une logique qui va assez bien avec le monde scientifique et sa projection là aussi, post dix-huitièmiste, post lumière qui a eu tendance à vouloir toujours simplifier. On rêve d'arriver à l'équation qui dit tout. L'équation qui dit tout en physique, l'équation qui dit tout pour ce qui est de l'explication du monde social, et cetera. Donc cette notion, un peu du rasoir d'Occam, cette simplification de notre compréhension du monde et sa et sa réduction au maximum. C'est un peu la manière dont on a formé des générations et des générations de décideurs, et on voit bien qu'aujourd'hui, au contraire, il faut savoir penser le complexe, donc la pensée complexe, la capacité à appréhender cette complexité, ce degré systémique. Et là, je reviens sur les ODD et le fait que chaque ODD est important, bien sûr, mais on voit aussi comment l'ensemble des ODD créent système - effet système - et comment penser les ODD tous ensemble, va donner finalement une tout autre compréhension de cet outil, que si on pense aux ODD par ODD. Et je crois que ça aussi, c'est un des défis d'ailleurs pour le monde multilatéral autant que pour le monde universitaire, de réussir à penser système pensée complexe, donc ça c'est pour moi aussi un élément à transformer dans la culture de notre monde. 

 
Un autre point qui est pour moi extrêmement important, c'est ce que j'appelle l'individualisme méthodologique systématique, qui a été très caractéristique les 60 dernières années dans lequel finalement, pour simplifier là aussi le l'argument, on a eu tendance à se dire que finalement l'égoïsme individuel allez générer le bien commun. Et donc ça on connait tous finalement la mantra friedmanien. Milton Friedman qui a été un peu le père spirituel de cette logique-là, en utilisant mal d'ailleurs Adams Smith, en réinterprétant mal Adam Smith. Et ça veut dire finalement, l'individualisme de chacun d'entre nous, si on lui laisse libre cours, notion de libéralisme réinterprété encore une fois, mal interprété, sans doute, va générer un bien commun et laisser faire, laisser passer, et cetera. Aujourd'hui, ce qu'on voit c'est que finalement la logique est totalement inversée, que c'est la préoccupation collective pour le bien commun qui va permettre la préservation d'un bien être individuel, donc il faut totalement renverser cette logique, cet ordre des valeurs en fait d'une certaine façon. 

Et enfin, je terminerai sur un point qui me tient beaucoup par cœur et qui est important aussi pour nous à l'Institut. Je crois qu'il faut qu'on revoie aussi à ce qui a été une sorte de dérive des dernières décennies dans laquelle la technologie est un outil, un outil fort, un outil puissant. C'est un outil qui a asservi l'humanité, depuis le feu jusqu'au digital si on prend l'évolution de l'outil. C'est un moyen pour nous d’appréhender le monde. Dans les dernières décennies, on a eu une tendance, une espèce de fuite en avant dans laquelle la technologie est devenue non pas un outil, mais une fin en soi. Avec même des volontés de transformer l'homme en post-humain, en transhumain, la trans- humanisme avec cette vision que finalement l'homme et dans sa finitude et dans ses limites, doit être dépassée et il sera dépassé par l’espèce de l'intégration avec la technologie à travers la notion de Cyborg ou au contraire carrément ou même encore plus loin par-là, en étant surpassé par la technologie ? Je pense qu'il est temps de mettre fin à sa, de revenir à deux choses. D'une part revenir à la notion de technologie comme outil et comme outil politiquement dirigé, c'est à dire que la technologie doit être au service d'une vision - d'une certaine vision de notre société. Un autre côté aussi, réenchante l'humane, c'est à dire ré apprécier finalement, ce qui fait nos limites, ce qui fait notre finitude, ce qui fait notre circularité, toutes ces choses dont j'ai parlé tout à l'heure. C'est précisément parce que nous avons ces faiblesses que nous avons aussi cette créativité unique et l'humanité sans humain pour moi n'a aucun sens, donc il faut remettre l'humain au cœur de tout ce que nous faisons. Nous l'avons vécu dans notre chair-là aussi ces 16 derniers mois, l'absence de cette humanité, cette dimension humaine, de l'interaction, du social, du lien, des émotions, du partage, tout ça, c'est quelque chose qu'on a vécu comme limitant extrêmement ce que nous sommes. 

Blandine Blukacz-Louisfert : Alors, dans ce contexte, c'est devant cette nécessité de changement à de multiples égards. Je crois que la formation des jeunes est fondamentale. C'est eux qui devront s'adapter et adapter le monde de demain et à ces changements. Selon vous, comment est-ce qu'on peut agir sur les politiques de formation pour s'assurer qu'elle prépare au mieux nos étudiants, à ce monde et en particulier, comment l'Institut des hautes études internationales et du développement, quand il s’est positionné à cet égard ? 

Marie Laure-Salles : Alors, il est très clair que ce dont j'ai parlé, c'est vraiment en fait finalement, comme vous l'avez dit au départ Blandine, un changement culturel. C'est même un renversement des valeurs en fait, c'est vraiment un véritable renversement de valeurs et pour arriver à ça évidemment l'éducation est un outil puissant, ce n'est pas le seul évidemment, mais c'est un outil puissant. Je pense qu'il y a d'autres outils importants sont ce que j'ai mentionné plus haut. C'est à dire tout ce qui sont les systèmes de mesure, les indicateurs et cetera. Mais l'éducation est évidemment un outil extrêmement puissant. Et il est important en effet de voir comment tous ces éléments il y en a sans doute d'autres, hein, mais je pense que ceux que j'ai identifié là sont quand même des éléments assez structurants. Comment tous ces éléments doivent être intégrés dans la manière dont nous formons les jeunes, les prochaines générations et à mon avis, dès la maternelle hein, de dés toute première classe, de débuts de la formation. Je vais me concentrer sur l'Institut parce que c'est quand même plutôt là que je suis spécialiste, mais je voulais insister sur le fait qu'il ne s'agit pas simplement d'attendre l'enseignement supérieur pour penser l'impact de cette formation. Donc comment on intègre, comment on essaye finalement d'aller dans la direction de ce que j'ai indiqué plus tôt ? 

Je crois qu'en effet il y a comme je vous disais, il y a plusieurs pistes. Il y a une piste évidemment qui passe par là l'interdisciplinarité, la transdisciplinarité au sens large du terme, à l'Institut c'est quelque chose que nous faisons depuis toujours, mais que nous devons peut-être faire aujourd'hui encore plus et encore mieux et encore plus largement au sens où nous devons aussi nous ouvrir à des disciplines qui ne sont pas présents dans l'Institut. L'Institut est un lieu dans lequel nous avons à peu près toutes les sciences sociales représentées, mais nous devons aussi aujourd'hui ouvrir cette notion d'interdisciplinarité à d'autres disciplines qui ne sont pas présentes dans l'Institut, comme par exemple les sciences de l'ingénieur, comme par exemple les sciences du design, ou tout ce qui est des écoles d'art et cetera qui sont des lieux importants, je pense aujourd'hui pour venir finalement renforcer et enrichir notre définition de la transdisciplinarité. Pourquoi la transdisciplinarité ? Parce que c'est quand même encore, ça reste encore le meilleur moyen de faire deux choses, d'une part, de réussir à aller vers la pensée complexe. Donc ça j'ai souligné combien c'était important et combien c'était difficile dans un regard purement disciplinaire d'arriver à cette pensée complexe. Mais c'est aussi évidemment, la transdisciplinarité, un bon moyen de faire de la pensée critique et de déplacer les regards, de confronter les regards et à travers cette pensée critique qui n'est, à mon avis, n'est pas suffisante d'aller vers une reconstruction. Je pense qu'un autre élément qui est très important pour nous et quand on est dans une pleine réflexion sur la transformation de nos programmes à l'Institut, on prend ceci vraiment très à cœur, c'est se dire, bien sûr, la pensée critique était un élément très important de la formation des jeunes à tous les niveaux. Mais au-delà la pensée critique, il faut aussi donner les moyens à cette nouvelle génération de pensée constructive, de réinventer le monde, donc ce n'est pas simplement de poser les problèmes du monde mais aussi d'être capable de proposer et d'aller vers la proposition de nouvelles solutions - solutions qui sont plus adapté aux besoins et aux défis donc du monde d'aujourd'hui. Et pour ça, il faut dépasser la pensée critique et aller vers, en fait, une projection vers une pensée constructive, ce que Bregman appelle l'utopie réaliste. Il faut réinventer l'espace pour les utopies, ce qui veut dire laisser beaucoup plus d'espace à la créativité et donc trouver les mécanismes de cette créativité dans nos programmes, dans nos curricula. Donc tout ça c’est les sorts des choses qui sont extrêmement importantes. 

Une autre piste qui me semble aussi extrêmement importante, c'est ce que j'appelle “le nouveau Bildung”. Alors le Bildung, c'est cette notion du grand éducateur Von Humboldt qui disait que finalement l'éducation bien sûr doit donner des compétences professionnelles ou des compétences qui vont être utiles pour le monde professionnel, mais doit aussi permettre à chacun d'entre nous, à chaque individu de devenir citoyen. Dans ce contexte, des citoyens au sens national du terme. Le nouveau Bildung, c'est citoyen au sens global, multilatéral aussi, du terme. Et donc il est très important dans la manière nous pensons la formation et ça peut été le cas finalement. Là aussi on a eu une dérive ces dernières années vers une tendance à penser l'éducation comme un moyen de former des gens à des compétences pour des métiers uniquement. Donc c'est important de le faire, mais ça ne suffit pas encore une fois. Et on a un peu oublié cette responsabilité du système éducatif de former des citoyens et des citoyens qui sont prêts à affronter les enjeux du moment et les enjeux du moment sont globaux, ils sont multilatéraux aussi. Donc repenser et donc réinventer l'éducation et là aussi à tous les niveaux, hein, je pense que ce n'est pas simplement au niveau de l'éducation supérieure pour intégrer à la fois le développement de compétences mais des compétences qui par définition seront très vite caduque. Puisque le monde change tellement vite qu'il va falloir que chacun se réapproprie de nouvelles compétences au fil du temps. Mais pour ça, asseoir des bases solides, d'un Bildung personnel qui permet justement de penser chacun, indépendamment, de se remettre en cause à chaque moment, d'avoir l'audace de penser qu'on peut trouver des solutions et des solutions nouvelles aussi, de prendre la mesure des enjeux, d'être capable de résister aux sirène technologique en étant capable de justement voir en quoi ces technologies peuvent être des outils importants, mais en quoi cela peut aussi représenter de véritables dangers pour nos démocraties, pour nos sociétés, pour notre bien-être, psychologique et cetera. Donc savoir gérer la technologie de cette manière-là. Tout ça, sont des éléments de ce Bildung qu'il est extrêmement important d'intégrer dans nos curricula. Et enfin, un tout dernier point pour réenchanter cette humanité, comme je vous le disais tout à l'heure, c'est quelque chose qui nous tient extrêmement, beaucoup par cœur à l'Institut. On a eu tendance depuis maintenant quand même très longtemps. Là c'est quelque chose est une tendance plutôt, qui datent de centaines d'années voir un peu plus. C’est à penser que la formation, finalement, mobiliser avant tout, la rationalité, mobiliser avant tout, la capacité réflexive des individus. Et surtout, la formation supérieure d'ailleurs peut être que dans des classes plus jeunes on ouvre un peu plus à la créativité, au sport, et cetera. Mais nous, à l'Institut, on n'a même pas finalement de lieu pour que nos étudiants puissent faire du sport. Et je pense qu'aujourd'hui il est extrêmement important de savoir comment nous allons aussi mobiliser. Parce que les émotions de nos étudiants, comment nous allons mobiliser leur humanité dans toute sa dimension, y compris dans son interaction avec la planète, avec la terre. Donc, nous avons lancé un projet de jardin collaboratif par exemple. C'est un exemple, mais on pourrait en avoir d'autres dans laquelle nos étudiants prennent possession finalement de cette loupe, hein, de se développe et cetera. Et nous allons à partir de septembre, lancer une initiative art et culture avec comme objectif de multiplier les langages pour aborder les questions qui sont celles de l'Institut, qui sont celles des grands défis du monde, mais à travers cette multiplicité de langage. Des langages qui non seulement mobilise la réflexivité, la réflexion et intellect, mais aussi le cœur, les émotions, donc l'art, le cinéma, la photo, la danse, la musique, et cetera, l'ensemble des arts comme moyen de parler et de discuter avec la raison. 

Blandine Blukacz-Louisfert : Alors, venons-en à ce qui nous lie. Quand je dis “nous” c'est l'ONU à Genève et l’IHEID puisque non seulement nous sommes voisins géographiquement, nous occupons bien sûr de relations internationales et de multilatéralisme, mais nous partageons aussi un lien historique qui remonte à la société des nations et nous aux bibliothèques collabore depuis cette époque, c'est à dire depuis bientôt 100 ans. Et tout récemment, un nouveau plan d'action commun a été fixé. Est-ce que vous pouvez nous en dire un petit peu plus ? Et puis ce que nous pouvons espérer de cette collaboration ?   

Marie Laure-Salles : Alors c'est vrai que c'est une longue histoire des deux côtés, c'est une longue histoire de cousins, on va dire hein, on est un peu des cousins donc, et nous sommes des cousins qui se met finalement avec un projet à l'origine qui était un projet commun, qui était le projet d'un monde de paix et un monde ouvert en fait, si on résume un peu le projet de la société des nations. 

Et qui était aussi le projet de l'Institut, c'était cette projection vers un monde de paix et un monde ouvert. Je pense que ce projet, il est toujours d'actualité et toujours, il est toujours nécessaire de le réaffirmer. Mais il est aussi très clair et c'est en fait le travail nous avons en fait engagé à partir de septembre dernier, un travail de réflexion à l'Institut sur comment réinterprète ce projet initial à l'aune des enjeux d'aujourd'hui ? Et à travers cette réflexion, nous en sommes arrivés à la conclusion que le monde de paix et le monde ouvert reste finalement ce qui nous motive, ce qui nous tire, ce qui nous définit. Mais que pour en arriver là aujourd'hui, on a un certain nombre finalement, des projets en précondition qui sont, pour faire simple en fait, une préoccupation très forte avec les enjeux de soutenabilité au sens large du terme, qui implique l'équité, qui implique une plus grande équité en tout cas, que ce que nous avons aujourd'hui. Donc l'équité et là “sustainability” comme double dimension conditionne notre capacité à développer où retrouver, parce qu'il y a des jours, on peut se demander si ce n'est pas retrouver, un monde ouvert et un monde de paix. Et je pense que une fois qu'on a dit ça, il apparaît très, très clair et très et très évident que ce projet-là, il exige en fait de l'interdépendance, il exige de la collaboration, il exige aussi, sans doute, de repenser les dispositifs de collaboration multilatérale qui sont en place aujourd'hui. Il existe plus que jamais une collaboration multilatérale, mais il demande sans doute qu'on les réévalue et qu'on les transforme, en tout cas en partie, et que voir en fait notre cousinage à l'aune de cette projection-là me paraît être finalement sans doute la meilleure manière d'envisager la suite de notre relation et de notre collaboration. 

Blandine Blukacz-Louisfert : Dans cette perspective, est-ce que vous semble qu'on pourrait penser à des actions conjointes qui permettraient de créer des espaces pour que les jeunes soient plus entendus à l'ONU. On entend souvent les états membres évoquez la voix des jeunes, mais on ne voit pas beaucoup de jeunes dans les salles de conférence. Qu'est que nous pourrions faire pour que les jeunes soient plus en plus présents ?  

Marie Laure-Salles : Donc ça, c'est vraiment un cheval de bataille pour moi de souligner ça depuis plusieurs années, même avant mon arrivée à l'Institut. C'est de souligner que ces enjeux du monde - de c'est plus le monde de demain, c'est vraiment le monde aujourd'hui - ces enjeux du monde d'aujourd'hui ce sont des enjeux qui concernent, bien sûr, il nous concerne tous et tous, mais il concerne quand même encore plus les enfants et peut être un jour mes petits-enfants je l'espère. En tout cas, il concerne ces générations de jeunes qui vont occuper, qui vont habiter, qui vont habiter le monde, le monde du futur. Donc il ne s'agit pas simplement de leur donner la parole, il s'agit aussi peut être de leur donner les moyens de structurer les débats. Donc ce n'est pas tout à fait la même chose parce que dans un cas, quand on leur donne simplement la parole, on les invite à participer à des manières de d'aborder les questions que nous avons défini - nous, et on les inscrit dans ces espaces-là. Leur donner les moyens de structurer les débats, c'est leur faire confiance à un degré supérieur pour aller vers la définition aussi des questions, pas simplement dans les réponses, mais aussi dans la manière de poser les questions. Et je pense que ça, c'est quelque chose qui est important. On a la chance à l'Institut, d'avoir des étudiants absolument exceptionnels qui ont bien compris ce message. Depuis que je suis arrivé, je suis impressionné parce j'ai fait passer ce message à quelques reprises dès mon arrivée et depuis, ils se lancent eux-mêmes en fait, dans la génération d'initiatives dans lequel ils viennent vous chercher, ils viennent chercher les autres organisations internationales pour donc il renverse un petit peu la logique, c'est eux qui organisent et ils vont chercher en fait des soutiens, des appuis, des ressources qui vont venir nourrir la manière de poser la question qu'ils ont choisi de prendre. Donc toutes ces initiatives étudiantes, moi, je leur donne évidemment tout, tout mon support, toute mon aide. Je fais en sorte qu'il puisse se saisir finalement de cette question. Donc ça, c'est une manière qui est très positive, mais ça veut dire évidemment de la bonne volonté de la part de tous nos collaborateurs, des OIs de répondre positivement à leurs sollicitations et de pas être simplement, évidemment, on peut aussi les continuer à faire ce qu'on a fait jusqu'à maintenant. C'est à dire leur donner une place dans nos débats mais aussi accepté de prendre place dans leurs débats. Je crois que c'est la prochaine étape. 

Une autre idée qui me paraît très intéressante, et je discutais hier, avec Guy Ryder du BIT. En discutant avec lui, il m'est venue cette idée que peut être une autre manière de créer ce lien, ça serait de créer des rencontres totalement informelles entre les leaders du monde multilatéral et nos jeunes. “Meet Guy Ryder”, “meet Tatiana Valovaya” dans un café, ou dans notre superbe terrasse dans notre nouveau bâtiment, notre nouvelle résidence étudiante -organiser une rencontre totalement informelle, pourrait être vraiment aussi une idée. Troisième idée qui me travaille depuis quelques temps et que j'ai vu mettre en place par un certain nombre de mes collègues dans l'une des institutions ou je travaillais y a quelques années, qui s'appelle l'ESSEC, qui est une Business School. C'est un programme que on peut le qualifier comme “on the job”, la logique là c'est de faire des paires, en fait, entre un étudiant et un manager, qui rentre plutôt avec le secteur privé, mais dans notre cas, ça peut être avec nos partenaires des organisations internationales dans lequel on va avoir par exemple une semaine, pendant une semaine entière, un jeune qui va être en shadow du manager et qui va vivre sa vie en fait avec lui ou avec elle et avec des moments de débrief en fait. Parce que ce n'est pas que dans un sens, ce n'est pas simplement le jeune qui apprend, mais c'est aussi dans la discussion entre les deux peut être des questionnements sur tiens, mais pourquoi vous avez fait ça comme ça ? Pourquoi cette question à ce moment-là, et cetera, et donc une réflexivité, une sorte de miroir qui se passe dans ce moment-là. Chez le médecin, parfois par quand vous allez chez le médecin, vous voyez ça en fait, vous avez un médecin, puis vous avez un jeune qui est en cours de formation mais qui fait l'ensemble de la semaine ou du moins en binôme avec le médecin et qui à la fois apprendre dans ce contexte là, mais qui peut être aussi probablement un impact réflexif sur la pratique de de la personne. Donc un programme comme celui-là, il marche très bien dans le contexte de la Business School dont je parlais tout à l'heure, c'est quelque chose qui est évidemment que les étudiants adorent mais que les managers trouvent extrêmement intéressant aussi. Donc pourquoi pas en fait un programme comme celui-là pour créer ce lien entre les générations ?  
 
Blandine Blukacz-Louisfert :  Je crois savoir qu'en tout cas, l'ONU à Genève et notre bibliothèque et archives en particulier, sont tout à fait disposés à soutenir ces cette vision et ces actions concrètes. Merci beaucoup Marie Laure-Salles d'avoir partagé avec nous vos réflexions, votre vision et puis un programme d'actions très concrètes pour changer, pour changer le monde. Merci beaucoup. 

Marie Laure-Salles : Merci beaucoup, Blandine.

 


 Add a Comment

0 Comments.

  Return to Blog
This post is closed for further discussion.